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Sport Publié le 1 mai 2023 | AIP

Gagnoa: Elève pré-collecteur d’ordures dans les ménages, un boulot ingrat (Enquête)

© AIP
Gagnoa: Elève pré-collecteur d’ordures dans les ménages, un boulot ingrat (Enquête)

Gagnoa – Faire la pré-collecte d’ordures ménagères, à priori, n'a rien de dramatique mais, quand en pleine semaine de cours, des élèves troquent le kaki contre les pelles et les gants pour ramasser des ordures, moyennant de l’argent, cela soulève des questions. À Gagnoa, ils sont de plus en plus nombreux, ces élèves, souvent mineurs, généralement des collégiens, à vider les poubelles des ménages. Ils exercent aux côtés des conducteurs de tricycles qualifiés abusivement d’éboueurs. L'AIP a rencontré quelques-uns de ces collégiens pré-collecteurs d’ordures ménagères mais pour des raisons de protection des droits des enfants, des noms d’emprunt seront usités et sans photos.


Jules, 19 ans, est élève en classe de Seconde G2 au collège P… 1 de Gagnoa. « C’est au début des vacances 2021 que j’ai commencé ce job », révèle le jeune garçon qui habite le quartier Cocoville, loin de son établissement. Ses muscles un peu trop développés et sa corpulence pour un enfant de cet âge inclinent à penser que les lourdes charges transportées régulièrement ont fait leur effet. « Je vis avec mes parents à Gagnoa depuis 2004 », dit-il. Il soutient que son père est chauffeur de car de transport de passagers sur les lignes Gagnoa-San Pedro et Gagnoa-Bouaké. « Il est tout le temps parti », confie Jules.


Il révèle que c’est grâce à « son grand frère du quartier, » Zoumana, qui se promenait pour vider les poubelles, qu’il a découvert ce travail. « Assis à ses côtés devant le tricycle, nous passons de cour en cour. Nous vidons les poubelles et chaque client (ménage) nous paie 2 000 FCFA le mois », ajoute-t-il. Jules travaille les mercredis après-midi, ainsi que toute la journée, les samedis. En dehors de ces jours précis, il travaille souvent les après-midis quand le professeur est absent ou quand il a une heure creuse. « Pendant les congés et les grandes vacances, c’est non-stop, » affirme l’élève. « Souvent, c’est moi qui sonne à la porte. Je dis c’est la fin du mois, nous sommes là pour les encaissements », relate l’apprenti collecteur d’ordures.


L’élève de Seconde explique qu’il travaille le samedi de 6H à 16H, assis sur le tricycle, parcourant plusieurs quartiers de Gagnoa notamment Dianka, Nairayville, Nouveau Quartier, Babré, etc. « Avec les ordures dans la benne du tricycle, les odeurs sont difficiles à supporter. En plus, c’est dégoûtant parfois de ramasser des trucs de femmes mal emballés », lâche-t-il, en soutenant que ce travail n’a pas de conséquence négative sur ses études et qu’il consacre le dimanche à ses révisions. « J’ai eu 11,59/20 de moyenne au premier trimestre et je suis dans les 15 premiers de la classe », fait savoir Jules.


Le « grand frère du quartier », D. Zoumana, explique que Jules est constamment avec lui, les jours où il ne va pas en classe. « Quand je l’appelle et je lui demande. Aujourd’hui c’est comment ? Tu as cours ? S’il dit non, il me rejoint », poursuit-il. Zoumana explique qu’en cas de panne de l’engin (c’est fréquent), il donne 1 000 F CFA à Jules pour sa semaine, pour se payer le transport afin de se rendre à l’école.


« Lui, j’ai aimé son style. C’est un petit courageux et qui respecte », poursuit Zoumana. Ce dernier ajoute du reste que les élèves sont de plus en plus nombreux à solliciter du travail auprès des conducteurs de tricycle contre un peu d’argent. « Après les encaissements dans les ménages, il peut avoir entre 15 000 et 18 000 FCFA, le mois, parce qu’il dit que ses parents ne le gèrent (entretenir) pas toujours », assure Zoumana.


Un autre élève, Sam, 17 ans. Il est en classe de Terminale au lycée E. de Gagnoa. Il révèle que deux autres élèves de sa classe exercent le même boulot. « Je vis chez mon oncle à Affridoukou (village devenu quartier en pleine ville de Gagnoa), depuis mon enfance », entame Sam, très dégourdi et prolixe. « On peut dire que c’est à cause du manque de moyens des parents que j’ai pris contact avec le « Grand frère du quartier », dit-il. Apparemment, c’est ainsi qu’ils nomment ceux qui les introduisent dans ce métier.


Sam estime que les parents ne doivent pas tout faire. « J’ai donc décidé de me chercher (trouver des ressources complémentaires) », déclare-t-il avec assurance. Nous nous interrogeons à haute voix, quant à la capacité, ou la volonté des parents à s’occuper de lui. Il ne tarde pas à répondre à la question, que nous-mêmes, nous nous sommes posée. « Parfois, il est difficile pour le parent de dire à l’enfant qu’il n’a pas les moyens. Cela peut lui briser le moral », dit-il pour justifier son travail.


« Étant grand, tu dois pouvoir lire dans le regard que ce n’est pas toujours facile pour un père. Quand tu lui dis, papa, il y a un cahier à acheter et qu’il te répond, OK, le soir. Et qu’un, deux, ou trois jours passent sans rien, tu dois comprendre que c’est difficile pour le parent. Donc, on se débrouille avec le ramassage des ordures. Il y a beaucoup de risques pour la santé, mais bon… », souligne Paul-Henri (nom d’emprunt), 16 ans, élève en 2 A au lycée M. de Gagnoa.


Lui, également, explique qu’il a eu à approcher en 2022, un conducteur de tricycle qui habite Trois antennes, son quartier. « Il m’a répondu favorablement », fait savoir Paul-Henri. « Mon travail consiste à lui servir d’assistant. » Puis, de poursuivre : « je fais la prospection auprès des ménages, indique le chemin pour accéder à certaines concessions, et notifie à mon responsable-conducteur, les ménages où les ordures ne sont pas encore enlevées », dit l’élève. Paul-Henri révèle que parfois, il doit momentanément interrompre son étude du soir pour aller exécuter une tâche avec son « patron ». « Cela arrive lorsqu’un ménage nous rappelle que ses ordures n’ont pas été enlevées depuis 48 heures par exemple », fait observer l’élève. Avec tous ces impondérables, l’exposition au soleil et aux odeurs nauséabondes, comment s’y prend-il, pour concilier études et ramassage d’ordures ménagères ?


Les astuces de Paul-Henri


« Je m’organise et je crée mon propre emploi du temps. Si je sais que dans l’après-midi, nous allons ramasser les ordures, j’étudie le matin. Je commence par mes matières spécifiques, puis les leçons. Dans l’après-midi, je l’appelle et lui dis, « Grand frère », c’est comment ? Je suis là », rapporte Paul-Henri.


En offrant ses bras, Paul-Henri dit percevoir 1000 F CFA ou parfois, 1500 F CFA par jour. Seulement voilà. Ce travail ingrat lui a appris plein de choses : « ne vous fiez pas au titre des gens. Le mauvais conditionnement des ordures traduit le peu de considération qu’ils ont pour autrui. Avec les sacs poubelles troués, où tu dois plonger les mains dans les restes d’ordures à même le sol. Malgré les gants, c’est dégoûtant. En plus, ils n’ont pas de respect pour ceux qui viennent les débarrasser de leurs ordures », indique l’élève de Seconde qui laisse transparaître la tristesse sur son visage.


Le jeune homme assure qu’il arrive à gérer son emploi du temps, à tel point que ses parents ne le réprimandent pas et ne se plaignent pas. « C’est vrai que ramasser les ordures, ça fait un peu bizarre pour un élève. Mais dans le quartier, nous sommes quelques-uns et j’avoue que nous ne sommes l’objet d’aucun mépris de la part des habitants », insiste-t-il. Il confesse que dans son quartier, pratiquement tous savent qu’il fait ce job qui ne constitue pas une entrave à ses études. Ce qui ne semble pas être l’avis du Directeur régional de l’éducation nationale et de l’Alphabétisation (DRENA) de Gagnoa,


Konan Yobouet (DRENA Gagnoa) : C’est un mauvais signal


« Un élève, sa place c’est en classe », s’insurge le directeur régional, qui met en cause la responsabilité des parents. « Le père, la mère, le tuteur légal, où sont-ils ? », s’indigne Konan Yobouet, tout en reconnaissant que l’absence d’internat constitue aujourd’hui une difficulté majeure pour les responsables de l’école. Il interpelle tous les parents d’élèves et tous ceux qui ont des responsabilités sur le quotidien de l’élève. « L’école est là pour aider les parents à encadrer l’élève, mais, les parents doivent aussi aider l’école à accomplir sa mission, en prenant ses responsabilités de chef de famille », insiste M. Konan.


Et d’ajouter : « pourtant, quelqu’un a payé l’inscription ». Le directeur régional de l’Education dit ne pas comprendre les parents qui déboursent de l’argent pour que l’enfant soit à l’école, laissent ces derniers s’adonner à la collecte d’ordures. « Un enfant, quand il a de l’argent, il n’a pas de projet », avertit M. Konan. Il estime qu’il ne faut pas habituer les élèves à gagner de l’argent, mais plutôt à étudier. « La place de l’élève, ce n’est pas dans les poubelles. Je n’approuve pas cela », martèle-t-il, promettant de mettre à contribution, les services de la Vie scolaire pour étudier en profondeur la question.


Les parents d’élèves rencontrés n’ont pas souhaité se prononcer sur la situation. Tout laisse croire que les parents et/ou tuteurs de ces élèves sont conscients que leur inaction, face au travail de pré-collecteur de leurs progénitures, n’est pas une attitude responsable. Sur notre insistance, une mère s’est résolue à dire un mot, mais seulement sous le couvert de l’anonymat. « Mon frère, qui va laisser son enfant garçon élève, qui va passer le bac dans un an, aller ramasser gnaman-gnaman (ordure), si ce n’est pas difficultés de la vie », lâche la tante d’un des élèves.


Encadré :


Témoignage d’un propriétaire de tricycle


K. Stéphane fait ce métier depuis 2017. À ce jour, l’homme possède deux tricycles. « Nous faisons appel à de la main-d’œuvre extérieure lorsque nos éléments sont indisponibles », assure-t-il. Il affirme que quelqu’un qui travaille tous les jours pour lui, perçoit environ 60 000 FCFA par mois. Pour un journalier qui travaille de 7 Hà 16H, il lui verse 2 500 FCFA, s’il s’agit d’un jeune homme solide. « Mais pour un jeune qui a un faible rendement, le montant est plus bas », avoue notre interlocuteur. « Ça, c’est le principe, » fait-il observer. À la question de savoir comment et pourquoi ils emploient des élèves, Stéphane libère un sourire qui en dit long sur l’accord tacite qui existe entre les deux parties.


« J’ai au moins dix élèves sous la main. Ils viennent en fonction de leur emploi du temps », révèle Stéphane qui explique qu’il ne garde que ceux qui travaillent bien et à qui il fait appel le cas échéant. « Mon petit, est-ce que tu peux venir ? Voilà la phrase fétiche quand tu es coincé », poursuit-il.


Il explique qu’avant 2022, les élèves étaient plus disponibles parce que la décharge était située en plein centre-ville, au milieu du marché. « C’était comme un point de ralliement de tous les ramasseurs ». La procédure était bien connue de tous et toujours la même. « Si vous avez besoin de quelqu’un dans l’immédiat, vous l’accostez à la décharge et vous discutez et c’est parti », assure Stéphane.


Depuis que la décharge a été délocalisée en brousse, à trois kilomètres de la ville, l’homme confesse que les élèves sont moins fréquents sur le site de la décharge. La nouvelle approche des élèves consiste donc, dit-il, à proposer leurs services à des pré-collecteurs qu’ils rencontrent souvent et qui, parfois, habitent les mêmes quartiers qu’eux. « Vieux père, je veux travailler avec toi et c’est parti. Sinon, c’est très difficile de prendre un élève dans la rue. Il y a trop de risques de vol et autres problèmes », fait-il observer.


En ce qui concerne toujours les élèves, Stéphane confie que lui et/ou les responsables de la vingtaine de pré-collecteurs organisés ou non de Gagnoa sont souvent contraints moralement de recruter ces élèves, même quand ils n’ont pas un absolu besoin urgent de personnel. Dans ce cas, le langage n’est plus le même. « Je te prends mais je vais te donner 500 ou 1000 FCFA. Ce n’est pas au prix normal, parce que j’ai déjà quelqu’un sous la main », disent-ils aux élèves. Question argent, l’homme explique qu’il n’y a pas de « traitement de faveur ».


« Lorsqu’on donne notre argent, on veille. Si aujourd’hui tu viens, que tu ne travailles pas comme on le souhaite, demain on te sort de notre liste… ça, c’est clair », note Stéphane. S’inquiètent-ils pour les études des enfants ? « Nous, on ne demande pas si tu es en classe d’examen ou pas. Nous, on a besoin de main-d’œuvre. Donc, très souvent, quand ils viennent nous rencontrer, ça fait pitié, mais bon…. Nous ne pouvons pas souhaiter que les élèves soient dans les difficultés et viennent vers nous. Mais nous, il nous faut travailler », insiste-t-il. Ayant été lui-même élève, et conscient, dit-il, des difficultés avec les tuteurs, « nous nous sentons obligés de les aider tout de même ».


Promoteur de collecte d’ordures ménagères, il invite le gouvernement à mettre en place un programme qui devrait permettre aux éducateurs de rencontrer le parent ou le tuteur légal, d’avoir un regard sur le quotidien des élèves en dehors de l’école.


Encadré :


L’implication de l’ANAGED, comme solution du maire


Face au phénomène des élèves-collecteurs d’ordures ménagères, le député-maire de Gagnoa, Yssouf Diabaté, se dit disposé à trouver des solutions définitives. L’implication réelle et effective de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANAGED), structure étatique chargée de la collecte des ordures et qui possède une direction régionale à Gagnoa, en est une. Le maire révèle qu’il a déjà accordé une subvention annuelle de deux millions de Francs CFA et offert deux tricycles à un groupe de jeunes, parmi lesquels des étudiants, qui, sur la base d’études menées, proposent d’aider la mairie dans la pré collecte des ordures ménagères. La vision est de favoriser l’implantation et l’insertion de ces jeunes, jusqu’à ce que l’ANAGED prenne effectivement le relais. « Quand l’ANAGED va se déployer, il sera mis fin à toutes ces dérives constatées sur le terrain », assure M. Diabaté. Il encourage l’ANAGED à travailler avec ces jeunes qui deviendront sûrement « des sous-traitants de l’ANAGED ». L’élu explique en avoir discuté avec la directrice régionale de l’Agence et pense que les discussions vont être approfondies. « Pourquoi ne pas insérer ces jeunes dans l’ANAGED puisqu’ils maîtrisent déjà le terrain, couvrent beaucoup de ménages. Je pense qu’ils peuvent apporter beaucoup en termes de solution à la collecte d’ordures », plaide le député-maire.



Une enquête de Dogad Dogoui


dd/cmas

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