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Sport Publié le 3 octobre 2022 | AIP

Des élèves de Lakota en location libre face aux défis des conditions d’études et de vie précaires (Reportage)

© AIP
Des élèves de Lakota en location libre face aux défis des conditions d’études et de vie précaires (Reportage)


Lakota - Un phénomène se généralise de plus en plus dans la vie de certains élèves. Il s’agit de la situation des élèves qui ne vivent ni chez des parents, ni chez des tuteurs. Ces élèves louent des maisons individuellement ou en groupe. L’on parle de ‘’ location libre’’. Ce phénomène est très observable à Lakota. Une incursion dans leur milieu permet de découvrir des conditions de vie et d’études précaires des élèves concernés.


Les lieux d’habitation des élèves pompeusement appelés ‘’campus’’ ou ‘’foyers’’ ou encore ‘’cités’’, par les pensionnaires eux-mêmes, se situent un peu partout dans la ville particulièrement de Lakota, à proximité des établissements secondaires, dans les quartiers Dogohiri, Dakouri, Cité Koné, et Koudoulilié.


L’une de ces ‘’cités’’, située au quartier Dogohiri, certainement la plus habitée desdites cités, est la ‘’cité Mermoz’’, en référence à l’une des plus grandes cités dortoirs des universités d’Abidjan. Elle est ainsi baptisée par ses pensionnaires. Elle abrite plus de 50 élèves de différents établissements secondaires de la ville.


Aux environs de 15 heures, jeudi 31 mars 2022, à la ‘’cité Mermoz’’, une quinzaine de jeunes font font la lessive. Gbotta Prince est élève en classe de 3ème dans un collège privé de la ville. Il est le président des résidents de la ‘’Cité Mermoz’’. « Mon rôle est d’organiser mes camarades pour rendre notre environnement propre. Nous nettoyons derrière le bâtiment et dans la cour. Le propriétaire de la maison ne fait rien », relève Gbotta Prince.


L’élève de 1ère D dans un établissement privé, Sissango Brigitte , vice-présidente chargée des filles de la ‘’cité Mermoz’’, est originaire du village de Gnawahué, dans la sous-préfecture de Niambézaria. Elle vit dans cette cité depuis trois ans. Elle affirme que les élèves y vivent dans des conditions très difficiles. « Nous vivons au jour le jour. Ce qui peut exposer les filles à des tentations malsaines. Mais nous sommes là pour les soutenir en leur donnant des conseils », souligne-t-elle.


Des conditions de vie précaires


Le puits à ciel ouvert à la cité Mermoz (2)


L’élève, Coulibaly Yadé, 16 ans en 5ème, partage sa chambre avec son frère. Il déclare que la plupart des élèves prennent un repas par jour, à part quelques privilégiés qui arrivent à en prendre deux. Bla Konan Metchi, en classe de 5ème, explique que le repas est fait par eux-mêmes, après les cours.


« En cas de pénurie de vivres, nous attendons que nos parents qui sont au village nous en apportent. Quand on est malade, c’est la même chose. Nous appelons au village et l’attente des vivres ou de l’argent peut mettre plusieurs jours’’, ajoute l’élève de 5ème, Méculé Salomon, quand renchérit, Bla Konan Metchi en classe de 5ème, « Nous devons souvent aller faire des petits travaux dans la ville pour nous nourrir, lorsque la nourriture ou l’argent tardent à arriver du village ».


En plus des difficultés de la pitance quotidienne de ces élèves s’ajoute le confort même dans les habitations. Ils occupent souvent la chambrette à trois voire quatre. Le jeune garçon, Yorowa Saint Paul, âgé de 11 ans, est en classe de 5ème et partage la chambre avec ses deux grandes sœurs qui sont en 3ème. L’enfant trouve cela « gênant », «mais on est obligé de vivre ainsi », déplore-t-il.


Les toilettes de la cité Mermoz


Selon les élèves, les chambres n’offrent aucune commodité. La plupart des élèves dorment sur une natte étalée sur le sol. La lumière fait quelques fois défaut. Méculé Salomon rappelle que l’électricité leur a été coupée pendant plusieurs jours pour impayés. Il n’y a pas non plus d’eau potable. Un puits à ciel ouvert leur sert de l’eau pour tout usage, y compris la boisson. Les WC et les douches, sans eau courante, sont logés dans une baraque à proximité des buissons.


Les raisons du choix de la libre location par les élèves et leurs parents


Les raisons sont différentes et parfois divergentes d’un élève à l’autre. Mais ce partage en commun la plupart de ces élèves est le fait qu’ils viennent de villages lointains et ne connaissent personnes dans la ville de Lakota. C’est le cas de Kouakou Akissi, âgée de 15 ans, en classe de 5ème, dont les parents résident dans le village de Gragba, distant de 20 km de la ville. Elle aurait voulu vivre chez un tuteur, mais n’en n’a pas trouvé.


L’élève, Sissango Brigitte, en classe de 1ère, est du village de Gnawahué dans la sous-préfecture de Niambézaria, à 25 kms de Lakota. Malgré ses conditions de vie difficiles, elle déclare préférer la location libre. « On est libre d’étudier quand on le veut », argumente-t-elle. Cet avis est partagé par Yorowa Saint Paul, âgé de11 ans, en classe de 5ème. Selon Yorowa, la location libre permet à l’élève d’échapper aux corvées et aux états d’âme des tuteurs.


Les résultats scolaires des élèves en location libre en deçà des espérances


Entre le besoin exprimé par certains élèves d’avoir « la liberté d’étudier », et les résultats scolaires de ces élèves, il y a, au constat, un grand écart. L’élève Yorowa Saint Paul, en classe de 5eme , a obtenu une moyenne de 10,52/20 au 1er trimestre et 10,28/20 au second. L’élève, Sissango Brigitte, en 1ère, a quant à elle obtenu au premier trimestre 09,70/20 de moyenne et au second, 10,01/20. Souli Rébecca, en classe de 6eme a eu pour résultats, 07,80/20 et 08,32/20, respectivement au 1er et 2ème trimestre.


Sur 15 élèves de classe de 3ème interrogés, sept redoublent leur classe. Aucun des élèves de terminale, pensionnaires de la ‘’cité Mermoz’’, n’a été admis aux deux examens blancs du BAC, organisés en février et en mars 2022.


Des élèves ont rapporté que deux filles de 5ème et 3ème, dont les identités n’ont pas été révélés, auraient interrompu leurs études pour raison de grossesse. Les auteurs seraient un élève et chauffeur de taxi.


Les résultats montrent donc qu’un grand nombre d’élèves en location libre est en situation de redoublement voire d’exclusion. Une approche discrète de ces élèves nous a permis de découvrir des causes d’un tel échec.


De l’encadrement des élèves en location libre 


Un des nombreux moments de babillage (2)


A la cité ‘’GOMIS’’, située au quartier Dakouri, où habite une vingtaine d’élèves, un soir aux environs de 20 heure, une vive animation régnait dans les lieux. Pendant que certains s’activaient à la préparation de leur diner, d’autres par groupes devisaient bruyamment. Quelques élèves qui avaient leurs cahiers ou leurs livres ouverts devant eux, s’intéressaient à d’autres choses. Ils manipulaient leurs téléphones portables ou échangeaient gaiement avec des correspondants.


Un autre soir, au campus ‘’Mermoz’’ une ambiance similaire qu'au foyer ‘’GOMIS’’. Posé sur une table, un téléphone portable distille de la musique, un son ‘’coupé décalé. Assis ou debout autour de la table, une demi-douzaine de jeunes se délecte. Certains esquissent même des pas de danse. Pendant une demie heure, aucun élève n'a révisé sérieusement ses leçons.


Les élèves sont livrés à eux-mêmes. Il est arrivé que des parents d’élèves ne découvrent les résultats scolaires de leurs enfants qu’en fin d’année scolaire voire à la rentrée. C’est le cas de M. Bagnon Hervé qui réside dans le village de Troko, situé à 40 kms de Lakota. Bagnon raconte qu’il était lui-même venu au lycée Moderne Boga Doudou Emile de Lakota pour les formalités de réinscription de son fils, et avait manqué de s’évanouir quand l’éducateur lui a annoncé que son fils est exclu pour insuffisance de travail. Ce parent confesse qu’il n’est jamais passé rendre visite à son fils qui vit en location libre pendant l’année scolaire.


Un éducateur du lycée moderne Boga Doudou Emile, Koné Maury, s’intéresse depuis quelques années au rendement scolaire des élèves qui vivent en location libre. Pour lui, ces élèves ne tirent pas vraiment parti de ces conditions de vie qui devraient leur permettre en principe d’étudier librement. Selon M. Koné, ces élèves passent le clair de leur temps à s’occuper à autres choses qu’aux études.


Des propositions de solutions


‘’La location libre’’ apparait de loin pour de nombreuses personnes comme la dernière des solutions pour la réussite des élèves. A la limite, c’est un pis-aller. M. Bagnon Hervé, père de l’élève Bagnon Frank Marius, avoue aujourd’hui que « c’est une erreur de laisser son enfant en ‘’location libre’’. C’est l’abandonner sans encadrement, et s’il s’agit d’une fille, c’est la livrer à des prédateurs sans foi ni loi ». Il aurait bien voulu confier son fils à un tuteur Lakota. « Mais, reconnaît-il, les soucis financiers des uns et des autres en ville, ajoutés à l’inconduite de nos enfants d’aujourd’hui découragent ».


Un autre parent d’élève, Toti Deza, habitant du village de Gnokoblognoa, voit dans la construction des collèges de proximité une solution à ce problème, car avec ces collèges, les enfants restent en famille auprès des parents. Il déplore que tous les villages n’en soient pas encore dotés.


Le choix de la ‘’location libre’’ préféré par de nombreux élèves répond plus à un souci de liberté qu’à une volonté réelle de travailler. Si la location de maison apparait comme la solution qui échoit aux parents d’élèves, en raison des réalités actuelles de la société ivoirienne en mutation, ceux-ci doivent prendre toutes les dispositions pour un meilleur encadrement de leurs enfants.


L’Etat peut construire des collèges de proximité, faire revenir les internats. Mais le facteur déterminant dans la réussite d’un élève reste dans la volonté de l’enfant lui-même, une volonté qui doit être assortie de l’encadrement parental. La responsabilité parentale reste capitale dans la réussite de l’élève.


Des dizaines de collèges de proximité ont été ouverts en cette rentrée 2022-2023 sur l'ensemble du territoire national.


Un reportage de Georges Yéré/

jmk/ask

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